le cancer littéraire

la véritable maladie du littéraire serait sans doute qu’il n’ait jamais fait ses deuils des Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, Hugo, Céline, Char, etc… . hors jamais une main ne pourra faire revivre ces esprits ni leur langue, et si leur manière frappa à la porte d’une époque ou d’une autre, celles-ci sont bel et bien passées. le poétique triture ses cadavres, fouille dans des organes pourris, d’où moultes pourritures écrites par le siècle présent, et soit dit en passant, bien trop jeune pour des jeux aussi macabres. si ces mains de maîtres anciens ont su transcender leur époque c’est qu’elles poussèrent au-delà d’un possible congru et étroit une forme et l’art d’une pensée. dans ce jeune siècle présent, quelle pensée mériterait une telle poussée et l’audace de l’élever pour que l’époque soit transcendée ? car il y a écriture et haute écriture. il y a écriture et l’exigence de l’écriture. et combien de taches noires d’ennui ? mais..restons curieux.

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le plus souvent quand on pense et parle de poésie les pensées se tournent automatiquement vers le passé, et le passé prend toujours des proportions i m m e n s e s si bien que le présent s’en trouve décoloré déshabité et « du coup » il compte pour mort. au présent de ton présent, certaines mains avancent, peut-être à tâtons, dans ce que j’appelle « le moyen-âge du futur », elles défrichent et déblaient, s’arrachent et travaillent dur pour tasser concasser pousser des pierres de renom qui prennent toute la place, étouffant le moindre germe d’une parole neuve, parole que beaucoup sont incapables d’indentifier. le passéisme est partout, dans tout, c’est une morbidité non pas latente mais effectivement, si réelle qu’on ne la voit plus. et « derrière » nous semble toujours plus beau et plus intéressant. pourtant, c’est ici maintenant que ça peut devenir intéressant, et dans toutes vos mains. et non, je ne pense pas prendre le chemin du facile, je pense plutôt rassembler des tresses de chemins pensés, rassembler des visions et tente d’en faire émerger une autre, et le but avoué est de permettre la perception d’un autre angle ou du moins de le questionner, non pas de chercher, mais de trouver « le courant d’air » qui fait ascension, pour voir plus loin — juste un peu…

A propos 4ine

Catrine Godin vit à Montréal, elle dessine, peint et écrit. En 2006, paraissent Les ailes closes aux Éditions du Noroît, puis, en 2012 Les chairs étranges suivi de Bleu Soudain. En 2013 Catrine est invitée au Festival International de Poésie de Trois-Rivières, puis elle participe au Festival Québec en toutes lettres en 2014, par l’entremise du projet Les oracles de Production Rhizome. En 2015, elle participe au chœur de voix du projet Plus Haut que les Flammes, également de Production Rhizome, qui font paraître Les oracles en 2016, présenté sur scène à Bruxelles et à Montréal en 2017. Plusieurs textes libres ont eté publiés dans la revue Femmes de Parole et Possibles (UdM). • "Catrine Godin a une plume universelle dans sa portée, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, ramenée à l'échelle humaine dans ses dimensions les plus profondes. Bon ou mauvais, elle ne juge pas : elle laisse ses mots résonner en toute liberté chez le lecteur qui en est quitte pour de profondes découvertes au fil de ses textes, autant par le sens que par l'esthétisme de son écriture." — Patrick Packwood / pour + d'infos : mescorpsbruts.wordpress.com
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6 commentaires pour le cancer littéraire

  1. j’aime ce cri catrine
    j’y suis revenu plusieurs fois
    il me paraît important

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  2. 4ine dit :

    Merci François de t’y arrêter, peut-être le questionnement vaut-il mieux que le cri (je ne pensais pas crier), si tu permets je vais ajouter ci-dessous la reponse que tu as apportée dans une autre « fenêtre » :

    Witold Gombrowicz — CONTRE LA POÉSIE
    « Presque personne n’aime les vers, et le monde des vers est fictif et faux. » Tel est le thème de cet article. Il paraîtra sans doute désespérément infantile, mais j’avoue que les vers me déplaisent et même qu’ils m’ennuient un peu. Non que je sois ignorant des choses de l’art et que la sensibilité poétique me fasse défaut. Lorsque la poésie apparaît mêlée à d’autres éléments, plus crus et plus prosaïques, comme les drames de Shakespeare, les livres de Dostoïevski, de Pascal ou tout simplement dans le crépuscule quotidien, je frissonne comme n’importe quel mortel. Ce que ma nature supporte difficilement, c’est l’extrait pharmaceutique et épuré qu’on appelle « poésie pure » surtout lorsqu’elle est en vers. Leur chant monotone me fatigue, le rythme et la rime m’endorment, une certaine « pauvreté dans la noblesse » m’étonne (roses, amour, nuits, lys) et je soupçonne parfois tout ce mode d’expression et tout le groupe musical social qui l’utilise d’avoir quelque part un défaut. Moi-même, au début, je pensais que cette antipathie était due à une déficience particulière de ma « sensibilité poétique », mais je prends de moins en moins au sérieux les formules qui abusent de notre crédulité. Il n’est rien de plus instructif que l’expérience, et c’est pourquoi j’en ai trouvé quelques-unes fort curieuses : par exemple, lire un poème quelconque en modifiant intentionnellement l’ordre de lecture, de sorte qu’elle en devenait absurde, sans qu’aucun de mes auditeurs (fins, cultivés et fervents admirateurs du poète en question) ne s’en aperçoive ; ou analyser en détail un poème plus long et constater avec étonnement que « ses admirateurs » ne l’avaient pas lu en entier. Comment est-ce possible ? Tant admirer quelqu’un et ne pas le lire. Tant aimer la « précision mathématique des mots » et ne pas percevoir une altération fondamentale dans l’ordre de l’expression. C’est que le cumul des jouissances fictives, d’admirations et de délectations repose sur un accord de mutuelle discrétion. Lorsque quelqu’un déclare que la poésie de Valéry l’enchante, mieux vaut ne pas trop le presser d’indiscrètes questions, car on dévoilerait une vérité tellement sarcastique (sic) et tellement différente de celle que nous avions imaginée que nous en serions gênés. Celui qui abandonne un moment les conventions du jeu artistique bute aussitôt contre un énorme tas de fictions et de falsifications, tel un esprit scolastique qui se serait échappé des principes aristotéliciens. Je me suis donc retrouvé face au problème suivant : des milliers d’hommes écrivent des vers ; des milliers d’autres leur manifestent une grande admiration ; de grands génies s’expriment en vers ; depuis des temps immémoriaux, le poète et ses vers sont vénérés ; et face à cette montagne de gloire, j’ai la conviction que la messe poétique a lieu dans le vide le plus complet. Courage, messieurs ! Au lieu de fuir ce fait impressionnant, essayons plutôt d’en chercher les causes, comme si ce n’était qu’une affaire banale. Pourquoi est-ce que je n’aime pas la poésie pure ? Pour les mêmes raisons que je n’aime pas le sucre « pur ». Le sucre est délicieux lorsqu’on le prend dans du café, mais personne ne mangerait une assiette de sucre : ce serait trop. Et en poésie, l’excès fatigue : excès de poésie, excès de mots poétiques, excès de métaphores, excès de noblesse, excès d’épuration et de condensation qui assimilent le vers à un produit chimique. Comment en sommes-nous arrivés là ? Lorsqu’un homme s’exprime avec naturel, c’est-à-dire en prose, son langage embrasse une gamme infinie d’éléments qui reflètent sa nature tout entière ; mais il y a des poètes qui cherchent à éliminer graduellement du langage humain tout élément a-poétique, qui veulent chanter au lieu de parler, qui se convertissent en bardes et en jongleurs, sacrifiant exclusivement au chant. Lorsqu’un tel travail d’épuration et d’élimination se maintient durant des siècles, la synthèse à laquelle il aboutit est si parfaite qu’il ne reste plus que quelques notes et que la monotonie envahit forcément le domaine du meilleur poète. Son style se déshumanise, sa référence n’est plus la sensibilité de l’homme du commun, mais celle d’un autre poète, une sensibilité « professionnelle » – et, entre professionnels, il se crée un langage tout aussi inaccessible que certains dialectes techniques ; et les uns grimpent sur les dos des autres, ils construisent une pyramide dont le sommet se perd dans les cieux, tandis que nous restons à ses pieds quelque peu déconcertés. Mais le plus intéressant est qu’ils se rendent tous esclaves de leur instrument, car ce genre est si rigide, si précis, si sacré, si reconnu, qu’il cesse d’être un mode d’expression ; on pourrait alors définir le poète professionnel comme un être qui ne s’exprime pas parce qu’il exprime des vers. On a beau dire que l’art est une sorte de clef, que l’art de la poésie consiste à obtenir une infinité de nuances à partir d’un petit nombre d’éléments, de tels arguments ne cachent pas un phénomène essentiel : comme n’importe quelle machine, la machine à faire des vers, au lieu de servir son maître, devient une fin en soi. Réagir contre cet état de choses apparaît plus justifié encore que dans d’autres domaines, parce que nous nous trouvons sur le terrain de l’humanisme « par excellence ». Il y a deux formes fondamentales d’humanisme diamétralement opposées : l’une que nous pourrions appeler « religieuse » et qui met l’homme à genoux devant l’oeuvre culturelle de l’humanité, et l’autre, laïque, qui tente de récupérer la souveraineté de l’homme face à ses dieux et à ses muses. On ne peut que s’insurger contre l’abus de l’une ou de l’autre. Une telle réaction serait aujourd’hui pleinement justifiée, car il faut de temps à autre stopper la production culturelle pour voir si ce que nous produisons a encore un lien quelconque avec nous. Ceux qui ont eu l’occasion de lire certains de mes textes sur l’art seront peut-être surpris par mes propos, puisque j’apparais comme un auteur moderne, difficile, complexe et peut-être même parfois ennuyeux. Mais – et que ceci soit clair – je ne dis pas qu’il faut laisser de côté la perfection déjà atteinte, mais que cet aristocratique hermétisme de l’art doit être, d’une façon ou d’une autre, condensé. Plus l’artiste est raffiné, plus il doit tenir compte des hommes qui le sont moins ; plus il est idéaliste, plus il doit être réaliste. Cet équilibre qui repose sur des condensations et des antinomies est à la base de tout bon style, mais nous ne le trouvons ni dans les poèmes ni dans la prose moderne influencée par l’esprit poétique. Des livres comme la Mort de Virgile , de Herman Broch, ou même le célèbre Ulysse , de Joyce, sont impossible à lire parce que trop « artistiques ». Tout y est parfait, profond, grandiose, élevé, mais ne retient pas notre intérêt parce que leurs auteurs ne les ont pas écrits pour nous, mais pour leur dieu de l’art. Non contente de former un style hermétique et unilatéral, la poésie pure est un monde hermétique. Ses faiblesses apparaissent d’autant plus crûment que l’on se prend à contempler le monde social des poètes. Les poètes écrivent pour les poètes. Les poètes se couvrent mutuellement d’éloges et se rendent mutuellement hommage. Les poètes saluent leur propre travail et tout ce monde ressemble beaucoup à tous les mondes spécialisés et hermétiques qui divisent la société contemporaine. Pour les joueurs d’échecs, leur jeu est un des sommets de la création humaine, ils ont leurs supérieurs et parlent de Casablanca comme les poètes parlent de Mallarmé et se rendent mutuellement tous les hommages. Mais les échecs sont un jeu et la poésie quelque chose de plus sérieux, et ce qui nous est sympathique chez les joueurs d’échecs est, chez les poètes, signe d’une mesquinerie impardonnable. La première conséquence de l’isolement social des poètes est que dans leur royaume tout est démesuré et que des créateurs médiocres atteignent des dimensions apocalyptiques ou encore que des problèmes mineurs prennent une transcendance qui fait peur. Depuis quelque temps déjà, une polémique sur la question des assonnances divise les poètes et on aurait pu croire que le sort du monde dépendrait de savoir si on pouvait faire rimer « belle » et « lettre ». Voilà ce qui arrive lorsque l’esprit de syndicat l’emporte sur l’esprit universel. La seconde conséquence est plus désagréable à dire. Le poète ne sait pas se défendre de ses ennemis. En effet, voilà que l’on retrouve sur le terrain personnel et social la même étroitesse de style que nous avons mentionnée plus haut. Le style n’est qu’une autre attitude spirituelle, devant le monde, mais il y a plusieurs mondes, et celui d’un cordonnier ou d’un militaire a bien peu de points communs avec celui d’un poète. Comme les poètes vivent entre eux et qu’entre eux ils façonnent leur style, évitant tout contact avec des milieux différents, ils sont douloureusement sans défense face à ceux qui ne partagent pas leurs crédos. Quand ils se sentent attaqués, la seule chose qu’ils savent faire est affirmer que la poésie est un don des dieux, s’indigner contre le profane ou se lamenter devant la barbarie de notre temps, ce qui, il est vrai, est assez gratuit. Le poète ne s’adresse qu’à celui qui est pénétré de poésie, c’est-à-dire qu’il ne s’adresse qu’au poète, comme un curé qui infligerait un sermon à un autre curé. Et pourtant, pour notre formation, l’ennemi est bien plus important que l’ami. Ce n’est que face à l’ennemi et à lui seul que nous pouvons vérifier pleinement notre raison d’être et il n’est que lui pour nous montrer nos points faibles et nous marquer du sceau de l’universalité. Pourquoi, alors, les poètes fuient-ils le choc libérateur ? Parce qu’ils n’ont ni les moyens, ni l’attitude, ni le style pour le défier. Et pourquoi n’en ont-ils pas les moyens ? Parce qu’ils se dérobent. Mais la difficulté personnelle et sociale la plus sérieuse que doit affronter le poète provient de ce que, se considérant comme le prêtre de la poésie, il s’adresse à ses auditeurs du haut de son autel. Or ceux qui l’écoutent ne reconnaissent pas toujours son droit à la supériorité et refusent de l’entendre d’en bas. Plus nombreuses sont les personnes qui mettent en doute la valeur des poèmes et manquent de respect au culte, plus l’attitude du poète est délicate et proche du ridicule. Mais, par ailleurs, le nombre des poètes grandit et, à tous les excès déjà cités, il faut ajouter celui du poète lui-même et celui des vers. Ces données ultra-démocratiques minent l’aristocratique et orgueilleuse conduite du monde des poètes et il n’y a rien de plus engageant que de les voir tous réunis en congrès se prendre pour une foule d’êtres exceptionnels. Un artiste qui se préoccupe réellement de la forme s’efforcerait de sortir de ce cul-de-sac, car ces problèmes apparemment personnels sont étroitement liés à l’art, et la voix du poète ne peut convaincre lorsque de tels contrastes le ridiculisent. Un artiste créateur et vital n’hésiterait pas à changer radicalement d’attitude. Et, par exemple, à s’adresser d’en bas à son public, tout comme celui qui demande la faveur d’être reconnu et accepté ou celui qui chante, mais sait qu’il ennuie les autres. Il pourrait proclamer tout haut ces antinomies et écrire des vers sans en être satisfait, en souhaitant que l’affrontement rénovateur avec les autres hommes le change et le renouvelle.Mais on ne peut tant exiger de ceux qui consacrent toute leur énergie à « épurer » leurs « rimes ». Les poètes continuent à s’accrocher fébrilement à une autorité qu’ils n’ont pas et à s’enivrer de l’illusion du pouvoir. Chimères ! Sur dix poèmes, un au moins chantera le pouvoir du verbe et la haute mission du poète, ce qui prouve que le « verbe » et la « mission » sont en danger… Et les études ou les écrits sur la poésie provoquent en nous une impression bizarre, parce que leur intelligence, leur subtilité, leur finesse, contrastent avec leur ton à la fois naïf et prétencieux. Les poètes n’ont pas encore compris que l’on ne peut parler de la poésie sur un ton poétique et c’est pourquoi leurs revues sont remplies de poétisations sur la poésie et que leurs tours de passe-passe verbaux et stériles nous horrifient. C’est à ces péchés mortels contre le style que les conduisent leur crainte de la réalité et le besoin d’affirmer à tout prix leur prestige. Il y a un aveuglement volontaire dans ce symbolisme volontaire où tombent, dès qu’il s’agit de leur art, des hommes par ailleurs fort intelligents. Bien des poètes prétendent échapper aux difficultés que nous venons d’exposer, en déclarant qu’ils n’écrivent que pour eux-mêmes, pour leur propre jouissance esthétique, quoique, dans le même temps, ils fassent l’impossible pour publier leurs oeuvres. D’autres cherchent le salut dans le marxisme et affirment que le peuple est capable d’assimiler leurs poèmes raffinés et difficiles, produits de siècles de culture. Aujourd’hui, la plupart des poètes croient fermement à la répercussion sociale de leurs vers et nous disent étonnés : « Comment pouvez-vous en douter ?… » Voyez les foules qui accourent à chaque récital de poésie ! A combien d’éditions les recueils de poèmes ont-ils droit ? Que n’a t-on pas écrit sur la poésie et sur l’admiration dont sont l’objet ceux qui conduisent les peuples sur les chemins de la beauté ? Il ne leur vient pas à l’esprit qu’il est presque impossible de retenir un vers à un récital de poésie (parce qu’il ne suffit pas d’écouter une fois un vers moderne pour le comprendre), que des milliers de livres sont achetés pour n’être jamais lus, que ceux qui écrivent sur la poésie dans des revues sont des poètes et que les peuples admirent leurs poètes parce qu’ils ont besoin de mythes. Si, dans les écoles, les cours de langue nationale tristes et conformistes n’enseignaient pas aux élèves le culte du poète et si ce culte ne survivait pas à cause de l’inertie des adultes, personne, hormis quelques amateurs, ne s’intéresserait à eux. Ils ne veulent pas voir que la prétendue admiration pour leurs vers n’est que le résultat de facteurs tels que la tradition, l’imitation, la religion ou le sport (parce qu’on assiste à un récital de poésie comme on assiste à la messe, sans rien y comprendre, faisant acte de présence, et parce que la course à la gloire des poètes nous intéresse tout autant que les courses de chevaux). Non, le procésus compliqué de la réaction des foules se réduit pour eux à : le vers enchante parce qu’il est beau. Que les poètes me pardonnent. Je ne les attaque pas pour les agacer, et c’est avec joie que je rends hommage aux valeurs personnelles de beaucoup d’entre eux ; cependant, la coupe de leurs péchés est pleine. Il faut ouvrir les fenêtres de cette maison murée et faire prendre l’air à ses habitants. Il faut secouer la gaine rigide, lourde et majestueuse qui les enveloppe. Peu importe que vous acceptiez un jugement qui vous ôte votre raison d’être… Mes paroles vont à la nouvelle génération. Le monde serait dans une situation désespérée s’il ne venait pas dans un nouveau contingent d’êtres humains neufs et sans passé qui ne doivent rien à personne, qu’une carrière, la gloire, des obligations et des responsabilités n’ont pas paralysés, des êtres enfin qui ne soient pas définis par ce qu’ils ont fait et soient donc libres de choisir.

    Witold Gombrowicz
    La Havane, 1955

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  3. 4ine dit :

    vers Gombrowicz je dirais non, et oui.
    la moitié du propos accuse et juge la personne de l’écrivant dit « poète », l’autre moitié, la poésie. la poésie n’est pas le poète, ni inversement. mais force est de constanter que 60 ans plus tard, ce pavé plein de verve et de ferveur, et « tout contre », est toujours d’actualité quant aux maniérismes de certains, quant aux prétentions d’autres, quant aux attroupements, quant à la course à l’édition, aux rituels des soirées de lecture, à la non mémoire, aux paraîtres pompeux : ce sont des choses que j’aie vues lors de soirées, et ce sont ces mêmes choses qui me les ont faites fuir aussi, tout autant que je fuis ce milieu. par contre les écriveurs des trois décénies suivantes auront travaillé très fort à désengoncer l’écriture poétique et la sortir des corsets historiques autant que des ornières où poésie s’enfonçait, aussi la déshabillèrent-ils complètement, résolument. mais après les années 80, la cassure est évidente et fait ressurgir une écriture « réactionnaire » c.a.d. plus conservatrice qu’elle ne le fut dans les années cinquantes, à croire que les valeurs que les sociétés dépassent étaient celles justement recherchées par les écriveurs arrivés dans un mur créatif dont ils ne surent que faire, ne trouvant aucune solution que de rebrousser chemin (avaient-ils acculé la poésie à la folie ?). chemin rebroussé, sans audace (le péché dont parle Gombrowicz serait en réalité celui du manque d’audace…) l’espace habité par la poésie s’est alors replié ; certains avancent et certains reculent, cela est précisément une constante historique et ce, dans tous les domaines, du politique au scientifique, du sociétal à l’économique. cependant le schisme des années 90 me fait beaucoup penser à la crise islandaise des atomistes, où la société entière d’Islande se serrait dans l’âpreté du climat et de la vie en écoutant ses poètes, l’éclatement des vers produisit l’éclatement de l’écoute, et incidemment fit lever le ton, les bras, la colère… contre les poètes par lesquels les écoutants se sentirent trahis et abandonnés. comme en écho à des phénomènes sociaux, les années 2000 ont également éclaté les styles, de minces parois ont volées en toutes directions et depuis, tout traverse tout dans un flou assez magistral — tu diras brouillard, si tu veux — et tous les « ingrédients » des écritures contemporaines se mélangent en une pâte tantôt étrange tantôt illisible. mais peut-être ce grand flou ressemble-t-il ou s’apparente-t-il à un effet big bang, peut-être la dispersion des matières pensées créera-t-elle des « univers » viables, peut-être qu’à l’instar des mathématiciens de la quantique qui ont épuisé leurs capacités de langage et d’équations, après le siècle des atomes et de la relativité, après la quantique et les univers pliés en origami savant, faut-il ouvrir une autre dimension, déployer un autre entendement, d’autres équations, et apprendre à lire celles-là.
    mais pour ce faire ne faut-il pas rester ouvert et attentif, ouvert et attentif au moindre signe émergent, à la moindre petite trace de vie, neuve, et à la plus infime brèche ? aussi, peut-être faut-il ne jamais perdre de vue que toute écriture reflète son temps ; en un éclair temporel l’histoire est passée de la particule du nom aux champs de particules, l’écriture poétique est passée du vers compté rimé à l’éclatement total de sa structure. nous ne savons rien de ce qui s’en vient. rien. notre époque — le présent de ton présent senti et vivant — découvre après les cordes la matière noire. quels esprits auront su faire des cordes les échelles où l’ascension élève l’entendement, et quels esprits seront dotés de « vision nocturne » pour, tels des chats, lire et déchiffrer la nuit du réel … puis en découvrir la luminosité cachée, sa source ?

    ceci dit, et quoi que je ne sois rien, rien qu’un être vivant, certains savent assez que je ne définis pas la poésie selon les classiques et classicismes académiques instaurés par les siècles et les modes passées, mais que je la place dans le corps vivant à l’instar d’un membre ou aspect créatif qui ne se sépare pas de l’être tout en n’étant pas l’être lui-même, que je la perçois comme un accès vers x inconnu et x possibles, et étant donné cela, et bien qu’entendant très fort ce que voulait apporter (peut-être un peu superficiellement, cependant) Gombrowicz … je reste pour, pour la poésie, tout en refusant de rester dans la glue du passé, en refusant de m’attacher.
    je lis les poètes comme on passe un seuil, une porte, comme se déchiffre un code et une équation donnée d’un entendement x contenant une clé pour passer un autre seuil, une autre porte. et mille et mille seuils encore, et peut-être ne trouverai-je pas le « chemin », le « passage », vers (peut-être le trouveras tu, peut-être sera-ce Pierre, ou Florian, ou un autre qui trouvera l’infime piste, le sentier neuf… ou ni nous ni personne de vivant à cette heure que dans cent ans) mais quelque chose me pousse, me tire, quelque chose appèle, je reste tendue vers.. et me désole quand je vois des esprits vifs et brillants comme des étoiles s’attacher, se garder attachés, « minervés », dans un conservatisme éteignoir, ou se clouer dans la matière d’une époque révolue sans avoir appris ou su marier tous leurs éléments pour les transformer, et les transcender.

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  4. Merci Catrine pour ta réponse riche et pleine de bon sens. En fait je ne crois pas que gombrowicz juge les poètes à proprement parler, mais plutôt la caste qu’ils ont formé en se coagulant, et qui les tient éloignés de la vie, de son air sale, de sa sueur. En effet je trouve aussi qu’il est pleinement d’actualité, en fait, cette caste consanguine représente bien au moins 90% des écrivants en tout cas en france… Ce qu’il reproche, c’est vraiment cette séparation d’avec la vie surtout avec l’ordinaire de la vie, celui qui parle à chacun. Il ne s’agit pas seulement de la forme (le vers classique par exemple peut être considéré comme atypique désormais – et ne fait que répondre à un besoin de musicalité et de symétrie inhérent à l’homme et en-dehors du temps…) mais de cet esprit poétique qui s’adresse à un autre esprit poétique plutôt que vers la vie telle quelle. Manque d’audace, oui… et oui aussi, l’écriture reflète son temps, elle le doit, c’est impérieux…
    Comme toute chose valable et essentielle, la poésie demande un « temps d’accommodation », un moment de ferveur, on l’attrape pas comme ça, comme on attrape un ours en peluche à la fête foraine, il s’agit de faire l’effort, et la récompense est d’autant plus grande. Mais dans cette époque évidemment tout doit venir tout de suite, il s’agit de mâcher le boulot…. pour servir la tambouille comme ça, prémâchée, directement dans le bec et hop… à la vitesse d’internet, avec la vacuité des films overground… la poésie ne marche pas comme ça, elle ne sait pas prendre ce rythme, à moins de pondre de petits poèmes simples comme une première gorgée de bière, poésie jetable, certains le font. On peut dire que ça reflète l’époque, mais ça reste pas bien longtemps en bouche… lors de la cérémonie du thé au japon, on ne se précipite pas sur le breuvage, on prend son temps, infiniment, pour rendre le thé majestueux, pour se rapprocher de l’orgasme…. la roue dentelée de la poésie s’acclimate assez mal de cette époque lisse, elle ne tourne pas au même rythme, et pourtant, si la poésie doit refléter l’époque, elle ne doit pas non plus s’y soumettre, c’est ce que je pense… Si le rythme doit se faire rapide, instantané pour s’accommoder au temps, alors c’est à ce moment précisément qu’il faut y aller encore plus lentement…. c’est peut-être mon esprit de contradiction qui parle, mais voilà… à se prostituer, on ne produit que de la m****, ils veulent de la vitesse, alors on va leur fourguer du 1 cheval vapeur avec des pointes à 0.3 kilomètres heures ! c’est comme ça que je vois les choses, et que je m’imagine vraiment refléter l’époque. Après tout, le reflet dans le miroir est toujours à l’envers….

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  5. xavier bordes dit :

    C’est étonnant qu’au XXI ème siècle il existe encore des personnes pour débattre de pareils sujets. Tout n’est peut-être pas perdu…

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  6. 4ine dit :

    Merci Xavier,
    merci d’être entré lire tout ceci, merci pour ta présence aussi.
    On dit que rien ne se perd ni ne se créé, que tout se transforme constamment. Sis exactement dans le moment transformant d’une époque pourtant, le plus difficile est d’y voir. Rien n’est perdu, non, hormis la vision — parfois…
    ;)
    Mes amitiés

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