La bouche ouverte — #NaPoMo 2023

« Lancé en 1996 par l’Académie des poètes américains, le Mois national de la poésie célèbre chaque année en avril le rôle des poètes et de la poésie dans nos cultures. Joignez-vous à nous pour cette édition en utilisant le #NaPoMo afin de lire jusqu’au 30 avril les créations de talentueux poètes. »

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mois de la poésie — un poème par jour pendant le mois : 8 vers, en Twitter (avec nombre restreint de caractères)

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#NaPoMo

la bouche ouverte

1

nous avons masqué nos bouches/comme si elles proféraient la mort/nous avalions notre parole/les yeux écarquillés d’humanité/quand nos mains ne se touchaient plus/les villes s’emplissaient de déchets bleus/on nous relâcha comme les bêtes/dans l’été pandémique et anxieux

2

six vaccins plus tard/le printemps fait de pauvres signes/d’autant de masques souillés que/d’étrons de chien dégorgés par la fonte/dans la rue on se regarde tous la bouche/on guète ce qui pourrait en sortir/l’invisible marche de la Maladie, ou/la trace d’un sourire

3

au milieu des vents fous d’Avril/sales des souillures de l’hiver/l’air du temps colle aux incisives/les charges infimes où des voix s’étiolent/aux globes les souffles exhalés/qui aussi s’avalent et s’empoumonent/chacun se trouve à respirer/autant la mort le vivant

4

nul ne se doute de ce qu’il porte/ni combien pèsent 21 grammes/ fois 8 milliards d’âmes/dans un seul et même battement/ni combien font ces 8 milliards/x 10 exposant 29 quarks et électrons/alors que chacun vaque sous les mêmes étoiles/à vivre son humaine condition

5

la bouche ouverte devant la fenêtre/les arbres craquent tombent durs/la ville est plus noire que charbon/transis nous attendons/tous logés à la même enseigne et soumis/aux sociétés d’État mais au climat/blottis autour de nos ti’lampions/le ciel nous tombe sur la tête

6

les câbles électriques se balancent/entre les branches cassées qui s’écrasent/de leur fonction connective brisée/des Hommes viendront jouer en nacelles/à rebrancher notre petit monde/à débrancher les troncs/ensuite les rues seront nues/et nous irons comme avant hier

7

qui vient charger ses batteries/au chaud accueil à l’ami/nous nous connectons de toutes façons/en formant des îlots et des atolls/un poète se douche au gym*/chacun se ramieute où il trouve/Vendredi Saint des limbes de Noramérik/encore dans la big panne électrique

8

la pub d’Hydro-Québec chantait/ »on est propre propre propre »/on est surtout très dépendant …/et sans alternative ni autonomie/pogner avec nos bouts d’chandelles/(c’est quoi déjà l’indépendance)/samedi des « enfants de Dieu »/flanqués de deux gouvernements

9

ici, les suscités ferment la bouche sur/le pain et n’usent plus de la parole/il n’y a pas de vin à la table mais/du Saint-Laurent filtré s.v.p./dehors le vent brasse l’essence/de nos paupérismes savants/je n’entends plus sonner les cloches/au-dessus des toits morts

10

les rues sont jonchées des éclats/du bois des arbres abîmés/les ravages étendus sur un capot/c’est loin d’être un orignal/les grands panaches s’étalent/en travers en long en large/les boutons rouges de leurs fleurs/se pilent s’écrasent sous le pied

11

les sèves montent aux cassures/dégouttent sur la jambe des arbres/Sirop ! nos forêts en pleurs !/et nous éplorés la bouche ouverte/passons impuissants ahuris/le chagrin rapetisse les mains/enfoncées et bien cachées/car dans nos poches ne reste rien

12

ici personne n’a ressuscité/le ciel de lait ne s’ouvre pas/nos yeux mendient les signes/qui ne seraient pas la Mort/pupilles plus qu’assoiffées/ils cherchent les éclats verts/pour prédire de quel avenir/le printemps nous chauffera

13

c’est le jour où le téléphone sonne/d’hab il fait le mort très mort/«madame vous devez vous présenter/avec vos papiers pour visiter» l’adresse/« n’importe quel ouest » signe/la destination d’un très certain HLM/mètre à mesurer crayon masque/«merci, à demain madame»

14

la case de la réalité est cochée/elle rattrape tous les tournants/«à cheval donné» on fait sa «fortune»/un jour il faut bien se plier …/à la condition de locataire/«vous êtes chanceuse» dit la dame/en montrant le deux pièces/avec «ascenseur et vide-ordure»

15

le printemps cachait son jeu/il avait l’As dans sa manche/chacun tient à son cagibi/pendant la crise de logements/commence la grande chasse/aux cents boîtes de carton/haut, les étourneaux se charment/pour remplir leur nid …

16

bientôt cent mille becs ouverts/vont piailler la faim au corps/comme les enfants s’assoiffent/de vie dans nos villes/autour de ce qui reste d’arbres/brisés qu’on leurs cède/les beaux parcs « tout neuf »/sur des remblais de dépotoirs

17

autour de ce qui est vivant/les affamés exudent le mépris/d’une faim qui détruit/contrairement aux oiseaux/nous ne savons plus fermer/ce qui entoure les dents/tant les As du printemps/nous laisse « écarquillés »

18

et nous taisons nos voix/sur les prix fous du lait du pain/qui nous exorbitent quand/l’Histoire humaine se déchire/de tromperies et d’ivraies/les peuples sont si gavés/« when the futur begins » ?/je vais demander à ChatGPT

19

si les oiseaux pouvaient parler/ils diraient qu’on est tous malades/de penser des cages à poules/pour caser le bétail humain/de casser l’être comme l’oeuf/juste pour utiliser sa coquille/une fois vidé on ne chante plus/on est que « socio-fonctionnel »

20

les politicards complotent/ils s’en foutent du coeur de l’âme/ils veulent rester à flot sur l’or/que nul ne possède/alors ils nous compressent le bocal/faudrait pas qu’on ait d’idées/faudrait pas qu’on réfléchisse/on est aussi leur poisson rouge

21

qui ne se voit pas tourner/dans la grande roue du monde/qui la bouche ouverte/fonce sur les miettes de vie/les yeux comme des dollars/avides et/ou crédules/9 millions de fois non-entendus/8 milliards de fois négligés

22

tu regardes la tournure des Temps/et l’envie de tout « déconcrisser »/le bocal et ce qui vient avec/de faire une révolution évolutive/pour rendre humaine l’Humanité/sauf qu’on est tous désarmés/rendus mous et impuissants/devant les faits accomplis …

23

quand on pense gouvernement/on a des spasmes au mental/la démocrature nous infecte/de « tu n’as rien vu passer »/on appelle ça un « sapin »/tsé en bon québécois/mais il me semble que si c’est pas « nowel »/on devrait voir venir de loin

24

les yeux grands fermés sur le réel/un quotidien harnache nos êtres/épris de rêves et de vraie DÉMOCRATIE/les rênes nous tirent dans l’autre sens/en nous la boussole explose/qui écouter et croire qui/quand le gros bon sens est liquidé/de la surface même de la Terre

25

… ceux que l’on maltraite colèrent/les enfances toujours se vengent/nous ne sommes pas adultes/dans ce monde infantilisé/il n’y a plus d’homme ni de femme/pour construire les demains/quand les futurs arrivent en gare/on leur lance tous des pierres

26

alors on regarde l’évolution/c’est à hurler et se taper le front/l’art de détruire est la seule culture/et le seul règne depuis le Jésus/2000 ans de mâlitude ça casse/tous les peuples sont à genoux/devant l’argent qui brille d’absence/mais devant les guns du politique

27

nul ne se sauve de ce qui nous noie/nul ne sait trouver de perche/alors on flotte la bouche ouverte/poussé par le courant/on se meurt tous par en dedans/en étouffant nos espérances/il n’y a plus de chant sur les morts/il n’y a plus de chant pour les vivants

28

gaz pétrole eau claire et sueur/bientôt tout sera pompé du monde/au bon plaisir de secrètes élites/qui décident nos sociétés/l’Histoire de l’Homme arrache le coeur/à chacun qui va marchant/on se demande très sérieusement/quelle valeur réelle a le sang …

29

ici se joue le Sens de la Vie/de nos peuples malmenés/par le bout du nez du cash/sur le bord de tout écrouler/nos têtes angoissées dodelinent/d’ennuis et d’épuisements/à nos poitrines où cogne l’organe bleu/s’assèche la vaillance

30

la Terre est une vache tarie/c’est ma faute et la tienne aussi/Bateau! qu’on s’est fait mener!/là on en peut plus on envahit les rues/de toi.e.s. de nous tous/écoeurés des mensonges de nos patries/en espérant résister à ce Mal véritable/qui ronge toute l’Humanité.

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