la cigarette de Catrine

je roule une cigarette de tussilage, damiane, feuille de lavande, rose broyée et sativa, tu en veux une ?

… j’allume :

• réflexions sur des tas de négligences et leurs répercussions

parmi les heures grises que des faits humains noircissent, s’avance angle par angle le jour dit de l’Hiver. les feuillages d’ors et de cuivres sont pilés et dérivent le long des trottoirs, se mouillent de neige sale. s’y dissimulent des crottes oubliées par des maîtres négligents ou inconséquents ou absents à eux-mêmes, telles des coquilles vidées, autant qu’ils le sont à la pauvre bête qui n’attend que le lien d’affect. mais tout est traité comme des rebuts. tout. tout l’homme. son passé. son présent. son futur. rebuts. poubelles.

en regardant une capsule documentaire à propos de recyclage des plastiques en Angleterre — et récupérant tous les plastiques et emballages de cosmétiques et parfums — je me suis senties interpelée en tant que québécoise et me suis interrogée sur ce qui est recyclé ici (deux sortes de plastique seulement, un peu de papier, le reste est envoyé dans d’autres pays…), et immédiatement un horrible sentiment de honte m’a envahie.

je ne suis pas une activiste. je ne pars pas en guerre. mais je me questionne à propos d’un désengagement, d’une absence à soi-même, d’un Oups sociétal et politique aux conséquences graves, je veux dire que nous avons établit des parcs publics sur des remblais de dépotoirs et y avons même élevé des tours d’habitations, les enfants y vivent et jouent. et immédiatement l’horrible sentiment de honte me tient.

ensuite on nous parle de problèmes de santé

et ensuite on nous parle du coût des problèmes de santé

et encore ensuite on nous parle de problèmes de santé mentale

et des coûts

et d’éducation

puis du coût de …

puis de taxes sur un tas de « parce que »

… ça coûte cher à tout le monde

de construire sur des rebuts non traités…

MAIS C’ÉTAIT QUOI L’IDÉE?

si la droiture commande la droiture, la bienveillance appelle la bienveillance, incidemment le médiocre génère le médiocre : je veux dire que rien de sain ne sortira des monticules de déchets des anciennes décharges publiques que cachent les remblais, rien d’autre qu’un sentiment sous-jacent ou omniprésent d’être un rebut …à soi-même, à sa société, à son monde. comment le discours pourrait-il en être autrement, comment la pensée pourrait-elle exprimer autre chose puisque et vu ce terreau de détritus? et sur combien de générations s’établissent ces faits (habiter sur les remblais)? …et les conséquences?

je ne jète pas la pierre aux urbanistes, ni aux sociologues, ni aux architectes, ni aux contracteurs, je ne jète pas la pierre à la ville de Montréal ou aux arrondissements qui s’étendent … je ne jète pas la pierre …mais il y a des responsables de hauts niveaux qui prennent des décisions nocives et dont les coûts sociaux sont si importants qu’ils auraient dû consulter des psychologues ou des agriculteurs, les deux auraient répondu dans un même sens : un sol toxique produira des plantes toxiques ; le milieu est crucial pour développer et éduquer des êtres.

… est-ce que depuis plus de cinquante ans les gouvernements promeuvent véritablement d’établir le peuple du Québec (en voie de disparition) sur les décharges insalubres, et ce sans avoir vu venir les impacts (coûts, santé, état psychologique) sur les individus et la société? ah vraiment? et on se laisse faire?

là, j’ai honte des « beaux parcs » qui parcèment mon quartier, j’ai honte du vert mensonge qui triche avec nous, j’ai honte.

*

* *

• lecture – Décharge – de Nicolas Jodoin

parlant de choses dures et réelles, oui, je lis ça, le premier livre de Nicolas Jodoin. ça fait mal par bout. c’est cru, hard et heavy, si je pouvais comparer ce livre à de la musique, je dirais que c’est du métal déchiré qui gueule à fond sur des références à de grands poètes. ça parle de déchéance réelle, de désillusion, de la perte complète de l’innocence (de cette génération qui baigne dans le trash, élevée dans les ruelles, sur des tas de poubelles qui s’amoncellent), et pour bien le dire, le discours du livre serait représentatif de la mise à mort de l’innocence même de notre époque putative et pornographique.

on y lit une suite de bribes à brides abattues, le poète s’y livre avec bruits de moteur, de canettes et de tessons, la poésie est chienne, on y sent les effluves de cul, les remugles de la déperdition assentie, voulue, voire recherchée comme une finalité, suicidaire. au milieu du sordide, le ton est délibérément désabusé et une lucidité transperce et sans appeler, sans demander, elle met le doigt exactement où la laideur s’est assise et installée dans ce monde qui ce veut moderne, soit-disant civilisé et qui se ment effrontément, « dans ta face ». ici on parle d’un paupérisme confrontant dans l’être.

et « dans ta face » l’auteur pousse l’audace d’une langue qui slang, mangée ou envahie par l’anglais sans rien masquer ni faire semblant, sans fioriture, elle est orale et rêche, les images claquent. chaque page ébrèche jusqu’à la dernière.

Nicolas Jodoin, Décharge, les éditions du mur, page 81

dans l’épilogue (de ce livre qui dérange et lu à trois reprises) qui selon l’auteur représente une autre ère biographique, le discours poétique à nu de Décharge de Nicolas Jodoin touche un fil plus sensible dans son adresse et une sorte de continuité, soudain le poème semble vouloir muter et émerger de sa propre pulpe, que la voix rejoigne, et que le poème soit plus qu’exutoire.

— Nicolas Jodoin, Décharge, les éditions du mur, 2020

A propos 4ine

Catrine Godin vit à Montréal, elle dessine, peint et écrit. En 2006, paraissent Les ailes closes aux Éditions du Noroît, puis, en 2012 Les chairs étranges suivi de Bleu Soudain. En 2013 Catrine est invitée au Festival International de Poésie de Trois-Rivières, puis elle participe au Festival Québec en toutes lettres en 2014, par l’entremise du projet Les oracles de Production Rhizome. En 2015, elle participe au chœur de voix du projet Plus Haut que les Flammes, également de Production Rhizome, qui font paraître Les oracles en 2016, présenté sur scène à Bruxelles et à Montréal en 2017. Plusieurs textes libres ont eté publiés dans la revue Femmes de Parole et Possibles (UdM). • "Catrine Godin a une plume universelle dans sa portée, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, ramenée à l'échelle humaine dans ses dimensions les plus profondes. Bon ou mauvais, elle ne juge pas : elle laisse ses mots résonner en toute liberté chez le lecteur qui en est quitte pour de profondes découvertes au fil de ses textes, autant par le sens que par l'esthétisme de son écriture." — Patrick Packwood / pour + d'infos : mescorpsbruts.wordpress.com
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Un commentaire pour la cigarette de Catrine

  1. Merci, Catrine, pour cette publication chargée à bloc. Exutoire.

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