3) Livre des Ravages

le Livre des Ravages est dédié
à Michèle M. Gharios


Livre des Ravages

La descente, je la voulais à l’image des chutes lentes de feuillages superbes et mourants, à l’image des ruisseaux caracolant et des marres alanguies; je cherchai la «teinte de l’odeur» et la multitude d’images fragmentées, un alliage.. je traçai le premier sentier dans la touffeur, l’état fougueux où précipité pêle-mêle le souffle – ou est-ce le sang je ne sais pas, je ne sais plus, sauf le geste – cet élan, oui, cet élan…le souffle, le sang et l’élan se déroulent par eux-mêmes.

Il y avait cet achèvement de l’automne, et ces ravages réels; duels d’élans et de chevreuils, cette lutte ponctuelle entre rivaux. J’ai pensé l’autrefois, le gant jeté, l’orgueil, l’entêtement certain, quelques traces dans la littérature. J’ai pensé des autrefois, et encore, la chasse vitale, la pulsion, le sang brûlant et mêlé de temps et d’espaces, le même chez l’homme comme chez la bête, ce mêmement, juste ce mêmement, le fleuret et les bois, dans la suite des accouplements, des orgies de spores et de pistils, ce moment où énamourée, la forêt capitule.

Il n’y avait que ces glissements de temps et d’espaces, de feuillures et de muscles, ces glissements de sèves, de sueurs… et le sentiment d’ouvrir, comme d’offrir un monde, une part de sauvage beauté.

***

Ravages
c’est dans l’effritement et sa lenteur d’arme que glisse et chuinte
une presque tristesse ou un ombrage à l’allongement des signes
une vasque au miroir tremblant soudain entre grises griffures
qu’illuminent changeantes un balancement souples pervenches

d’entre les lèvres bleuies ne pâlissent nulle plainte que les ramures
brillantes de l’éclat fugace mais certain d’un roulement d’encolure
et comme la bête s’étire et plonge au remuant ébroué des ondes
s’élabore l’entonnement se murmure la charge pleine des nuées

gronde tremble alors l’étendue que sauvages des ruts ravagent
à l’enjambement s’ouvre et suspend à l’instant le saut du jour
l’arbre couché ne relève son corps roué des fouets et morsures
mille saisons accourent vêtues d’élytres de fougères et de cristal

que dessous leurs bruns et fauves manteaux aux si rouges tavelures
des hanches blanches à la matité de craie rusent une voix liquide
ainsi la myriade envolée que pareille à des grappes oranges
vrombit ténu lointain ramage salue d’un dernier stridule

un sillon invisible trace aux ventres chauds et fumants des fourrures
où les pluies de bois et de velours laissent pantelantes des jeunesses
des écumes et des ors dansantes comme promesses belles d’amours
les jours vaincus des champs de lames aux trop mortelles étreintes
***

je ne voyais que des tableaux qui se superposaient les uns aux autres, des encres sur papiers mouillés, du graffite, des dilutions puis affamée ou insatisfaite, ou assoiffée mais de quoi donc, je pestais : j’aurais tout déchiré si j’avais peint; je n’ai pas peint. je suis allée marcher comme on marche pour ne pas faire autre chose, pour ne faire ce qu’on sait que l’on devrait faire, puis comme une évidence ou quelque chose de trop simple, m’est venue l’idée que je ne devais ni rentrer, ni peindre ni écrire, ni rien, juste attendre. ainsi marcher, hors de la fuite, hors du but aussi, pour détacher pas après pas, foulée après foulée, comme se lavent des humeurs à même la pluie, laver le tracé de parole que je laissais hors de moi, hors de tout souffle, hors, sorti, lâché, comme on lâche une bête
était-ce parce que la densité me questionnait, était-ce plus que du doute, si j’avais peint j’aurais tout détruit… je ne voyais pas, je ne voyais plus, les images de forêts et de ruts me mangeaient les yeux, les sens, et j’ai marché comme on se soule; la pluie, le vent, je voulais être dans la forêt, je voulais être dans la forêt et la ville m’éclaboussait, le vent fouettait les branches, et les voitures suintaient la saleté, je voulais être dans la forêt, être de ce glissement réel, dans la moiteur de l’humus, près des ravages.
la main du vent a fait battre mon foulard trois petits coups sur mon épaule, je me suis arrêtée net.
***
15 novembre : – (re modelage)

dans l’effritement et sa lenteur d’arme
glisse et chuinte une presque tristesse
ombrage
à l’allongement des signes
une vasque
au miroir tremblant
soudain entre grises griffures
qu’illuminent changeantes
un balancement souples pervenches
d’entre les lèvres bleuies
ne pâlissent nulle plainte
que les ramures
brillantes de l’éclat
fugace
mais certain d’un roulement d’encolure
et comme la bête s’étire
et plonge
au remuant ébroué des ondes
s’élabore l’entonnement
se murmure la charge pleine
des nuées
gronde tremble alors
l’étendue que sauvages des ruts ravagent
à l’enjambement s’ouvre
et suspend à l’instant
le saut du jour
l’arbre couché
ne relève son corps roué des fouets et morsures
mille saisons accourent
vêtues d’élytres
de fougères
et de cristal
dessous leurs bruns et fauves manteaux
aux si rouges tavelures
des hanches blanches
à la matité de craie
rusent
une voix liquide
ainsi la myriade envolée
que pareille à des grappes oranges
vrombit
lointain ramage
salue d’un dernier stridule
un sillon invisible
trace aux ventres chauds
et fumants des fourrures
où les pluies
de bois et de velours
laissent pantelantes des jeunesses
des écumes et des ors dansantes
comme promesses belles d’amours
les jours vaincus
des champs de lames
aux trop mortelles étreintes
***

en rentrant quelques heures jours espaces plus tard, je n’avais plus les yeux remplis de tableaux, dissipées, mes brumes n’étranglaient plus mon cœur, les chiens n’étaient plus ni a mon cou ni à mes chimères à gronder féroces dans mes foulées perturbées – proches du cri – parce que la tension se pressait sur une idée, une sensation incapturable …non, en rentrant je trouvai un cadeau tout déballé, une surprise ouverte, toute ouverte comme de grands yeux, un sourire serein et chaleureux, je trouvai le geste d’une amie lointaine, et tout soudainement, et comme si la table était mise pour la fête ou un banquet joyeux, les signes s’étaient placés formant un nouveau dessein, un nouvel ordre, et le déplacement, le basculement léger éclaira bientôt toute la forêt.

***

renversement ( carnet )

aux trop mortelles étreintes
des champs de lames
les jours vaincus
comme promesses belles d’amours
des écumes et des ors dansantes
laissent pantelantes des jeunesses
de bois et de velours
où les pluies
fumants des fourrures
tracent aux ventres chauds
un sillon invisible

un dernier stridule
lointain ramage
vrombit pareille à des grappes oranges
ainsi la myriade envolée
cette voix liquide
à la matité de craie
que rusent des hanches blanches
dessous leurs bruns et fauves manteaux
aux si rouges tavelures
de cristal de fougères
vêtues d’élytres
mille saisons accourent
ne relève son corps roué
l’arbre couché
le saut du jour
se suspend à l’instant
l’enjambement s’ouvre
l’étendue que sauvages des ruts ravagent
gronde tremble alors
des nuées
se murmure la charge pleine
s’élabore l’entonnement
au remuant ébroué des ondes
et comme la bête s’étire et plonge
d’un roulement d’encolure
brillantes d’un éclat fugace
les ramures ne pâlissent nulle plainte
d’entre les lèvres bleues
un balancement de souples pervenches
illumine soudain
entre grises griffures un miroir
tremblante la vasque allonge
signes et ombrages
chuinte une presque tristesse
dans l’effritement et sa lenteur d’arme

***

( note )
bus/métro 16 nov. 009
..me laisse songeuse encore le renversement de toute cette page ;
quelle étrangeté fait en sorte que le sens ou l’essence du matériau s’allume, me combustionne une poêlée semblable ? plus je fricote moins j’y comprends et pourtant … l’étonnement est sans doute le plaisir réel de l’exercice.(mon ami P-Y a bien raison quand il me dit que l’étonnement est le fil à ne jamais perdre)

ce n’est pas que le poème soit bon, c’est toute sa gymnastique intérieure avant le saut, avant le mouvement du crayon avant l’empreinte concrète…mais l’empreinte n’est-elle concrète que lorsque je trace, ou depuis bien plus tôt encore..peut-être est-ce un mouvement approchant celui des plaques tectoniques, sensible et invisible, peut-être la terre parle-t-elle plus au travers de nous que nous même ne parlons vraiment ? peut-être était-ce autre chose encore, quelque chose comme une mémoire sans mémoire, la captation d’un fil très ténu, impalpable

… j’en reviens au phénomène et au noumène
…et toujours est-il que je suis prise avec le texte, à l’endroit ou à l’envers…comme à chaque fois
– laisser reposer puis extraire –
– réfléchir à la note de Bouvier sur la littérature
– ne pas oublier Virginia Woolf sur le banc du bus

***

l’objet qui obture et ma pensée et ma vision n’est plus un tableau, mais un boîtier de verre, un boîtier de verre aussi long qu’une tablée festive : le papier vélum en feuillage presque transparent et légèrement bleuté se froisse sous le cryptage dru et la saillie humide de l’encre de seiche, des élytres semblent flotter parmi quelques restes de bestioles, de pétioles et de plumes, la terre noire grouillante de myriapodes et de lombrics semble vouloir couvrir les corps des pages, laiteuses, auxquelles ne manquerait qu’un peu de sang sous une fourrure, et quelques baies…

*

je vais marcher encore, et marcher dans ce noir de 16h30 qui enserre la ville, je vais marcher dans la nuit fauve de novembre, je vais marcher, la forêt me suit, d’aussi loin ou proche qu’elle soit je n’arrive pas à la distancer, elle murmure chuchote, et ses corps debout chantent et je n’arrive pas, je n’arrive pas à fermer son appel, son recueillement, son cercueil, cette nuit de presqu’hiver où je guette le retour de Neige, où j’attends qu’Automne s’endorme, je n’arrive pas derrière mes yeux, je n’arrive pas dans mes mains, je n’arrive pas à l’idée de clore le boîtier des vers

***

22nov.009
( remaniement d’impatience ) sur les ravages

étreintes
lames vaincues
promesses
écumes dansantes
laissent pantelantes les jeunesses
les bois et les velours
où les pluies fumants les fourrures
tracent un invisible sillon
aux ventres chauds

stridule lointain
vrombit
une grappe orange
myriade envolée
dessous leurs bruns et fauves manteaux
aux si rouges tavelures

cristal fougères des élytres
accourent
l’arbre couché
le saut du jour
suspend
l’instant
s’ouvre
les ravages
grondent

tremblent

les nuées murmurent la charge
les ondes s’ébrouent comme la bête plonge
éclat fugace
les ramures pâlissent
une plainte entre les lèvres

les pervenches
balancent
illuminent la vasque
allonge
des signes
chuintent
des ombres
dans l’effritement
et sa lenteur

*

(note du carnet)

je m’impatiente, le poème tient encore malgré ce que je lui fais subir, mais je ne trouve pas la saveur que je cherchais, je m’impatiente et j’attend, juste entre entendre l’ancienne langue, j’attend la langue d’un autre monde, j’attend l’écriture des autres aussi, sur lesquelles se compose une autre langue taillée lentement en des lieux que l’ancienne langue ne connaît plus, ne connaîtra pas, ne pourra peut-être pas survivre… il n’y a pas de livre pour la langue qui vient, il n’y en aura pas, il n’est pas d’enseignement parce que autre, autre et nouvelle, et puis, j’écoute ce qui m’appelle et que je ne peux nommer parce que je ne le reconnais pas encore, de ne pas y être, pas encore, mais juste sentant poindre, comme on pressent sans rien pouvoir définir, porter sans pouvoir dire ni transcrire ou transmettre, que mon impatience seulement, et seulement mon impatience se dessine comme un toucher de forme dans un espace intensément sombre, ou abstrait, et cette sensation est étrangère comme savoir que l’on palpe sans que cette chose soit encore véritablement, ni dans la forme, ni dans la texture, ni dans rien… juste tenir, peut-être faut-il juste tenir et laisser tout le reste se faire

***
nous sommes le trois décembre, hier Neige est revenue, je n’attendais qu’elle pour fermer les yeux du livre des ravages. Neige a apporté de la musique, je l’écouterai attentivement. Aussi elle m’a suggéré de ne plus attendre pour Novembre, elle m’a dit de sa voix fraîche « embrasse-le maintenant, laisse-le partir. »

*

des étreintes
l’écume laisse les jeunesses
au bois velours
la pluie fume
les fourrures

l’invisible

un seul stridule
une grappe orange
envolée
dessous les manteaux bruns
et fauves des fougères
des élytres
courent
le saut du jour
ouvre les ravages

les nuées chargent l’onde
s’ébrouent comme une bête
plonge

éclat fugace
des ramures
une plainte entre les lèvres

illuminée la vasque allonge des signes
les ombres chuintent dans la lenteur

*

 

…je ne suis pas certaine, de temps à autres je jette un œil aux fourrures pour voir si elles respirent encore les élans de forêt, mais rien ne bouge, peu à peu les coccinelles perdent de leur teinte et de leur luisant ; mes yeux vont et viennent, en suivant l’agonie des vers, mes yeux vont ailleurs…

mes yeux regardent 25 petits tableaux intérieurs, vingt et cinq miniatures d’ombres sanguines et d’ondes.

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De Gaza à Mossoul

Les morts s’amoncellent
et mes veines se glacent
mes organes leur dictent
de les nourrir quand même
et mon corps
pris de mutisme
draine par reflexe
nutriments et bulles d’oxygène
et ma révolte vaine
tombe
dans les stèles de marbre.

Anonyme errante
sans adresse et sans nom
sans religion
je crois aux farandoles
au vent et à l’eau
qui défient les frontières.

Les bras ouverts
j’épouse le vent
je trébuche
me redresse
vagabonde
me dilue
dans le vide d’une terrasse
peuplée de chaises renversées.

Je m’effondre enfin
épuisée
me relève en sursaut
engourdie
dans la bouche
un arrière goût de sang
et sur la langue
la douleur perceptible de l’espérance.

©Michèle M. Gharios
Extrait inspiré de « anonyme »- « Collier d’air »- Dar An-Nahar 2010

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